"Si tu affirmes que les fesses de la personne qui te précède sont sales
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dimanche 30 novembre 2014

Hommage à Didier Chouat par son frère Francis


Voici le discours de Francis CHOUAT, son frère, pour Papa:
Hommage à Didier CHOUAT, Salle Océane, Ville de Plérin. 24 Novembre 2014
Monsieur le Préfet, cher Pierre Lambert,
Monsieur le Ministre, cher Charles Josselin,
Monsieur le Président du Conseil général, cher Claudy Lebreton,
Chère Danielle Bousquet,
Cher Ronan Kerdraon, maire de Plérin,
Chers élus, militants et amis,
Chers tous de la famille,

Didier, dont je veux vous parler, en associant à mes propos Anna, Nadège, Romain, Romny, Ludivine, Dimitri, Virgile, Geneviève, Amandine, Aurélien, Viridiana, vous avez certes pu le découvrir, deviner ses racines, mesurer la densité de ses convictions militantes et citoyennes, sa disponibilité de camarade, d’époux, de père, de grand-père, d’oncle, de cousin.
Mais le Didier dont je veux vous parler, vous ne pouvez pas le connaître vraiment sans savoir d’où il vient, sans comprendre sa construction et sa complexité. D’autant que sa modestie, non feinte, et sa pudeur, extrême, ne prêtaient pas à l’étalage de sa part.
Tout en respectant l’une comme l’autre, je veux vous faire partager deux ou trois choses que je sais de lui, qui vous permettront de le garder mieux encore avec vous.
Pour l’unique frère que je suis, le mot qui sied le mieux à Didier cest : l’aîné.
Oui, Didier c’est l’aîné.
L’aîné dans toute sa splendeur.
Celui qui peut même finir par vous rendre jaloux.
Non parce qu’il aurait joué de son antériorité, né d’une union délicate entre Georgette et Raymond, nos parents, au sortir de la guerre en Avril 1945.
Encore moins parce qu’il aurait usé de sa force : enfant il était plutôt chétif – et moi l’inverse – et plus adepte de Churchill revendiquant haut et fort : « No sport ! ».
Non. Rien de tout cela avec Didier. Plus profondément, il est l’aîné en ce qu’il constitue un modèle, pour le gamin que j’étais comme pour tous nos copains de Montigny les Cormeilles, petit village de Seine et Oise, où nos parents, fonctionnaires humbles, avaient trouvé une vieille bicoque avant de décrocher le Graal en 1957 : une HLM luxueuse parce qu’il y avait enfin l’eau courante et, plaisir suprême : un chauffe-eau ! C’était à Poissy, bien connue des Bretons.
Oui, Didier c’est un modèle d’apparente facilité à réussir tout ce qu’il entreprend.
D’où, tu le sais bien Dimitri, sa haine de l’échec, même dans la cueillette des champignons pour laquelle vous vous livriez à un véritable concours…
Ces derniers jours, dans la stupéfaction du drame annoncé, qu’il a tenu à maîtriser mais auquel nous nous refusions tout de même, me reviennent des souvenirs forts, dont je revendique la totale subjectivité, qui ont marqué notre enfance et notre jeunesse, fauchées par la mort elle aussi brutale, sous nos yeux, de notre père, il y a 52 ans.
Je me rappelle sa capacité déconcertante à jouer de l’harmonica. Et il devenait Bob Dylan. Ou Albert Raisner, selon les goûts. Ou cette facilité à saisir la délicatesse de la mandoline de Raymond, qu’il a précieusement conservée. Et c’était Vivaldi. Tout cela sans le moindre cours de musique, a fortiori de Conservatoire à l’époque.
Je me rappelle ces petits matins, presqu’à l’aube, où nous devions avaler un bol de soupe – avec des pâtes -, il n’a jamais supporté les laitages – moi non plus du même coup – parce que, très bon élève il avait pu entrer au lycée Marcel Roby de Saint Germain en Laye et que dès 11 ans il devait prendre seul le train pour Paris Saint Lazare, en changer et être à 8 heures au lycée, pour en revenir tard le soir et recommencer le lendemain.
Ah ! le lycée Marcel Roby et son voisin, Claude Debussy, réservé aux filles, n’est-ce pas Anna ?
C’est là que Didier a appris et construit tout ce que vous savez de lui.
Son parcours scolaire brillant, sa culture large, son amour pour l’éducation, son respect pour l’enseignant, son goût pour l’action collective ; c’est là.
C’est là qu’il a fait les plus belles rencontres, à commencer par celle d’Anna-Claire.
C’est là, dans ces lycées et dans cette ville royale de banlieue où foisonnait une activité intellectuelle intense, que ses convictions les plus profondes ont pris leur envol pour ne plus jamais le quitter.
Il y avait déjà un terreau : celui de notre famille.
Notre grand-père maternel, Honoré Estrade, maire Radical-socialiste de Montastruc de Salies – çà ne s’invente pas ! – dans le Comminges Haut-Garonnais que Didier sillonnait sur son vélo électrique ( No sport !) il y a encore quelques mois.
Et notre père, Raymond, qui a eu l’extrême intelligence de nous faire partager – à Didier surtout – son combat pour l’école publique quand, en 1960, 10 millions de Républicains ont pétitionné pour la défendre et que 500 000 se sont rassemblés à Vincennes pour adopter le serment laïque du 19 juin 1960. Didier en était, moi peut-être. Et, sans se connaitre encore, Anna également, venue avec son père Lucien Weitz et ses frères.
Marcel Roby, Claude Debussy, Saint Germain en Laye,
Lucien Weitz,
Ses enfants, surtout Anna,
C’est là, avec eux, grâce à eux que Didier s’est construit.
Construit un parcours universitaire qui aurait pu le mener très loin s’il n’avait pas choisi aussi le militantisme. Mais il ne l’aura jamais regretté. Je me souviens de la passion qu’il a mise à rédiger sa maîtrise d’histoire sur l’affaire Dreyfus. Ou l’admiration qu’il portait à Fernand Braudel ou René Rémond.
Construit son parcours universitaire ET construit son engagement politique, citoyen, intellectuel. Car, pour lui, il ne pouvait pas y avoir l’un sans l’autre.
Dès lors, Didier n’est plus seulement l’aîné. Didier c’est l’engagé.
Alors ce furent les combats pour la décolonisation et l’indépendance de l’Algérie, contre les milices factieuses de l’OAS. Ce fût le tournant de la dramatique manifestation de Charonne en 1962 et ses morts. Il en est revenu bouleversé.
Ce furent ces débats passionnés dans le bouillonnant PSU de début des années 60 où, avec Lucien Weitz et Anna, Didier se frotta à des Poperen, Martinet, Rocard, Olivier Todd et tant d’autres, pour donner une identité, une espérance à la gauche démocratique alors à l’agonie.
Tout juste adolescent, il m’arrivait de me retrouver dans cette belle bâtisse fatiguée où demeurait la famille Weitz au Vésinet. Je ne comprenais pas toujours ce qui se débattait mais j’avais le sentiment d’être dans un lieu important où le monde s’écrivait, avec Lucien, impavide, son éternelle pipe à la bouche, surplombant les tablées familiales ou amicales, tel un Jacques Tati génial de la politique.
Puis ce fût le printemps 1968 à Saint Germain comme à Nanterre, qui accouchera aussi de Nadège en janvier 69. Et là, Didier révèle ses formidables capacités d’organisateur. Allant jusqu’à régler dans les moindres détails, dans le bureau de la proviseure du lycée Claude Debussy, l’occupation et la défense du lycée pour faire face aux menaces réactionnaires. Didier n’a jamais confondu le changement et le désordre…
Par la suite, son goût modéré pour l’uniforme mais son profond sens civique l’amènent à choisir la coopération militaire en enseignant avec Anna au Maroc, à Essaouira. Ils se découvrent alors, l’un comme l’autre, une passion pour ce pays, son peuple – son régime c’est autre chose… - une passion qui ne se démentira pas. Ils y ont noué de solides et durables amitiés.
C’est d’ailleurs un autre trait de la personnalité de Didier. Lui, le militant précoce de la décolonisation et de l’indépendance des Nations, aura toute sa vie voulu prolonger son action en contribuant au développement du continent africain, à la constitution d’Etats souverains, de cadres politiques formés et aguerris, aux droits de l’homme. C’est si vrai qu’au Conseil général des Côtes d’Armor puis avec la Fondation Jean Jaurès, que je salue, il a consacré beaucoup de son temps dans des missions de coopération et de s’y faire de nombreux amis, comme le Président de la République du Niger, Mahamadou Issoufou, qui a appris avec émotion la disparition de Didier par le Premier ministre Manuel Valls et le ministre de la Défense Jean-Yves Ledrian.
Que Nadège ait, à son tour, embrassé une carrière internationale au service du développement culturel, Charles Josselin le sait, l’a comblé de bonheur.
La suite, vous la connaissez mieux que moi puisque vous l’avez accueilli, d’abord à la Croix Saint Lambert à Saint-Brieuc où Romain verra le jour. Vous l’avez adopté, porté aux responsabilités qu’il aimait le plus : élu de terrain, au plus près des problèmes quotidiens, sans perdre de vue un seul instant une ambition. Pas pour lui, mais pour ceux qui lui ont si souvent et si longtemps accorde leur confiance.
Pour nous sa famille, l’homme public que vous appréciez, que vous aimez, c’est le même que le Didier de l’intimité familiale.
La même pudeur à taire sa douleur lorsqu’il subit un revers politique ou lorsque survient un souci personnel, parce que, fondamentalement, il déteste le nombrilisme. Il est autant au service des autres qu’il est au service des siens.
La même disponibilité pour l’intérêt général que pour le bien être de sa famille ou pour son attention extrême à ses petits enfants.
La même sincérité dans l’engagement. C’est ce qui en fait un débatteur aussi redoutable qu’infatigable. A la table familiale comme dans n’importe quelle assemblée. Daniel Vaillant me disait il y a quelques jours : « Tu sais, Didier était ce qu’il y a de mieux à l’Assemblée nationale, discret, travailleur, collectif. » C’est vrai. Didier n’aurait jamais été victime de cette nouvelle maladie parlementaire qu’est l’égocentrisme BFMisé ! Il n’a jamais cherché à faire rimer conviction avec distinction narcissique. La fronde, il la maniait verbalement avec ses opposants ; pas avec ses camarades.
Pudeur,
Disponibilité,
Sincérité,
Didier c’est tout cela. L’humour en sus. Il le porte dans son regard, toujours malicieux, jamais moqueur.
Lecteur assidu du Canard Enchaîné, il aurait pu rédiger lui-même les fameux albums de la Comtesse, tant sa maîtrise de la contrepèterie laisse pantois. Comme il aurait pu donner la réplique à Pierre Desproges dans le « Tribunal des flagrants délires », ou jouer dans les mythiques « Tontons flingueurs » la fameuse scène de la cuisine. Pour lui, Francis Blanche était indépassable.
Voilà Didier.
Alors, Didier,
Toi le frère que j’ai eu, à la différence de Maxime Le Forestier,
Te l’ai-je au moins dit une fois ?
Je le fais maintenant, ici et maintenant :
Je suis,
Nous sommes fiers de toi !

1 commentaire:

  1. Ce texte remue les tripes.
    J'espère que Didier l'aura entendu.
    C'est tellement dommage d'attendre la mort des gens que l'on chérit, pour dire ce qu'on pense d'eux !
    Mais, je ne jette pas la pierre : c'est à cause de la pudeur tout simplement. Nous sommes tous très pudiques.
    J'ai pleuré lorsque j'ai lu ce texte.

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